19.1.09

V.I.P

C’était le soir béni où l’air était tiède et sentait la montée de sève. Le soir attendu où la fenêtre était enfin ouverte et où je brûlais d’envie d’être en manches courtes.
C'était l'une de ses soirées erratiques, quand le vent nous apporte des nouvelles d'une mer paisible, qui signent la fin prochaine du bref hiver et le début de notre long, doux et variable printemps. Il n'y a finalement que cette première quinzaine de janvier qui voit nos jardins sans fleurs. Déjà, les camélias fleurissent chez la voisine. J'attends le mimosa, et puis les jonquilles, et les dimorphotécas qui ne s'arrêtent presque pas.
L'ami des villes venait de partir et flottait encore autour de moi la question des choix de vie, celle des renoncements qui libèrent , pendant que d'autres amputent. Il avait apporté avec lui les échos de quelques-unes de mes très anciennes passions, la ville, la nuit, la multiplicité des visages, les chemins toujours nouveaux ouverts au fil des rues, les ciels pâles de ces matins où les premiers levés ont le sentiment de posséder la cité avant qu'elle soit envahie.
Il avait apporté aussi la passion de la passion, de ce qui claque et vibre, exulte et se lamente, de ce qui vit dans le regard de l'autre, toujours morcelé en fragments délicieux, éphémères et si coûteux, les ajustements déchirants, cette noblesse désargentée et héroïque de la confrérie des amoureux.

L'ami des villes est parti, et moi qui ne frémit plus de l'odeur du macadam, je me suis demandé ce qu'il aurait pensé de cette autre visite amicale, silencieuse et souple, qui m'arriva par la fenêtre ouverte. Puis-je dire que mon coeur s'est accéléré, que ma nuit fut joyeuse et mon matin tout réchauffé, même si cette visite du soir n'est pas particulièrement belle ou célèbre ou communicative.
L'amie furtive- encore qu'il soit malséant, ma chère, de vous réveiller si tôt dans l'année- la voici :

Bien qu'informulé, son message est clair. Elle me dit que j'ai bien fait de ne pas entretenir chaque pouce de mon jardin, d'y laisser de l'eau et des petites friches, de ne pas tout clore, de tâcher, avant tout de ne pas y être nocive, de laisser place à des vies très éloignées de la mienne.

Si l'ami des ville en pensait autant, mon bonheur serait complet.

C'est le grain sept du sablier, ce soir dé-givré.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Les reines de la nuit sont de drôles de pipelettes qui adorent écouter aux fenêtres les grandes conversations passionnées et ne peuvent pas s'empêcher de venir ajouter leur grain de sel (bien que l'épineuse question des choix de vie semble leur hérisser les oreilles, mais c'est mon humble avis).
L'embêtant, c'est qu'il faut leur faire un brin de conduite au petit matin parce que la sortie est toujours plus difficile que l'entrée pour ces vadrouilleuses.

Unknown a dit…

Très belle visite, qui répond au questionnement "ville ou campagne".
Beaucoup de douceur et de recul vis à vis de la ville.
Moi qui suis encore dans cette interrogation, j'admire !

Oeillet vert a dit…

je rêve de ce jardin, et de la déclinaison des floraisons en son sein. Plus je viens lire ici, plus je suis admirative de cette écriture et de l'âme qui la nourrit.

Anonyme a dit…

La reine de la nuit s'est endormie, ignorante du bonheur de lire que tu nous offres grâce à elle.

Anonyme a dit…

J'ai des souvenirs qui reviennent de bouts de jardin sauvages qui avaient nos préférences quand nous étions gamins ;-)

Anonyme a dit…

En chinois, chauve-souris se dit bian fu. Le mot fu, quant à lui, signifie bonheur.
C'est ainsi que la chauve-souris est devenue, par homophonie, l'animal symbole du bonheur.
Vive les chauve-souris !
(Et les crêpes oignons-lardons-pomme de terre.)

Signé : L'ami des villes